Trois religieuses de la Congrégation de Charles de Foucauld, arrivées en 1992, ont encouragé les Terradeñas à constituer un groupe. Celui-ci s’est formé autour d’un noyau de femmes jeunes et dynamiques, déjà connues comme étant des leaders dans la communauté. Au nombre de quatre, ces femmes sont aussi comadres entre elles. Des liens sociaux se sont noués et aujourd’hui toutes sont comadres entre elles. Au bout de quelques années, les femmes se sont organisées avec une présidente et une vice-présidente afin de pouvoir commencer à gérer le groupe et le rendre institutionnel.
En 1997, assurant une présence régulière dans la communauté, l’aide de la responsable d’une association française présente à El Terrado, est sollicitée. Elle commence en achetant en ville de la laine à un prix réduit et cherche à les faire accéder à des formations pratiques.
Le premier objectif de ce groupe des femmes est de ne plus devoir acheter de vêtements : les femmes sont obligées d’acheter leurs vêtements sur les marchés de Vila Vila, de Betanzos ou de Sucre. Elles souhaitent donc, dans un premier temps, apprendre à tricoter pour elles et pour leur famille. En effet, si quelques femmes âgées tricotent et tissent toujours, les plus jeunes ne savent pas ou peu. Ainsi, rapidement, le tricot permit aux femmes de pourvoir à leurs besoins vestimentaires.
A partir de ce moment-là, le développement du groupe, se matérialise rapidement. En 1999, grâce aux fonds mobilisés par l’association française, un atelier est construit au centre de la communauté, en lieu et place d’un pan du bâtiment d’hacienda, parallèlement et à côté d’un atelier pour les enfants. Il permet aux femmes d’avoir leur propre espace pour leurs activités. L’installation du groupe dans l’atelier confirme officiellement et concrètement, l’existence du groupe.
Les femmes les plus âgées et celles sachant tisser, enseignent aux autres les techniques des métiers traditionnels du tissage. Puis, par l’intermédiaire de la coordinatrice française, elles vendent les pièces de tissus afin d’améliorer les ressources financières de leurs familles. Par la suite, celle-ci propose aux femmes à produire de l’artisanat de qualité destiné à la vente à l’étranger et notamment en France. Plus tard, en introduisant la couture, les simples tissus se transforment en divers objets artisanaux.
Entre 2000 et 2001, l’atelier des femmes s’équipe progressivement en machines à tisser manuelles. Elles participent à des formations techniques, dispensées par une professeur de Potosí (crochet, métiers à tisser à pédales, petite couture). Celle-ci leur apprend la confection de leurs polleras : « Nous avons réappris à tisser avec nos métiers à tisser traditionnels et ensuite à coudre les tissus que nous réalisons » m’explique-t-on. Toutes se lancent dans le tissage sur métiers à tisser à pédales, dont la technique diffère des tissages sur métiers traditionnels. L’objectif est de réaliser les châles qu’elles portent quotidiennement.
En 2001-2002, grâce à l’arrivée de l’électricité, en plus des deux métiers à tisser à pédales, l’atelier se dote de quatre machines à coudre électriques achetées à Sucre.
Plutôt que de parler des « mamans », il faut parler maintenant du groupe des femmes. En effet, les terradeñas ont donc commencé par créer un « groupe des mamans » exclusivement composé de mères de famille d’El Terrado, âgées de 20 à 50 ans. A l’origine, il s’agissait d’un état de fait et non d’une condition requise. Les participantes actuelles n’ont pas toutes des enfants, même si les jeunes filles entre 18 et 24 ans quittant leur famille pour s’installer avec leur mari sont déjà mères. A présent, dans le groupe, la majorité des femmes a une trentaine d’années, et celles ayant plus de 40 ans sont peu nombreuses. En 2004, trois jeunes filles entre 18 et 20 ans se sont jointes. Ce sont les dernières à avoir été admises. En effet, tant au niveau spatial qu’au niveau du fonctionnement, le groupe ne peut plus accueillir de nouvelles personnes.
En 2003, les femmes du groupe ont choisi
le nom « Sut’iyamuy ch’aska », la Estrella del amanecer, c’est-à-dire « l’étoile du matin » ou « l’étoile de l’aurore », car
« disaient-elles, [c’est] une petite lumière dans la nuit où elles se trouvaient avant de créer le groupe, une petite lueur d’espérance. Maintenant la lumière a grandi et leur espérance
aussi ». Parallèlement le groupe s’est doté d’un logo (ci-contre).
Depuis plus de 10 ans, les femmes font de l’artisanat qui est vendu sur les marchés locaux et également en France par notre intermédiaire. Un renfort est nécessaire afin de dynamiser le groupe et d’apporter des idées en terme de nouveautés sur l’artisanat traditionnel. Un certain nombre de machines à coudre actuellement en panne sont en cours de réfection. Des démarches sont à entreprendre afin d’assurer un suivi.
Un des objectifs de notre association est de rechercher des financements locaux et surtout des partenariats dans les domaines de la formation et de l’amélioration des techniques.
Des actions sont également nécessaires en France afin de développer la vente des produits artisanaux permettant de financer les actions locales en Bolivie. Cela permettrait aussi de faire connaître l’art et les techniques traditionnelles de tissage boliviennes.
Après quelques années où les femmes n’avaient plus la volonté de travailler à la confection d’artisanat selon leur propre aveu, l’envie est revenue d’avoir une activité structurante permettant de se réapproprier les techniques de tissages locales.
L’objectif fut de fédérer les femmes le souhaitant afin de produire de l’artisanat tout en en réduisant le nombre de modèles disponibles et en l’adaptant pour l’Europe les tailles et couleurs. Des formations ont été envisagées pour renforcer le savoir-faire du groupe. Malheureusement, sans une présence permanente sur place qui les soutienne et les guide, le groupe s'est délité et la création d'artisanat a périclité peu à peu pour devenir quasiment nul. Aujourd'hui, ce qui est créé est vendu sur le marché local.
Il n'est cependant pas exclu qu'un jour l'activité d'artisanat ne redémarre pas...
L’organisation interne
Chaque année, à la fin du mois de décembre, se tient la dernière réunion du groupe. C’est à cette occasion qu’une nouvelle dirigeante est choisie à la majorité, en même temps qu’une vice-présidente. Les femmes assument à tour de rôle ces charges pendant un an. Sur ce principe de roulement annuel, les responsables des différents comités du groupe sont désignées : l’achat de matières premières ou de produits annexes (biscuits, savons, ballons), la vente de tissage ou de produits finis, la tenue des comptes, le cahier d’absences, le ménage de l’atelier et des toilettes, la tenue du cahier du groupe des femmes, le Libro de Actas, les activités sportives (football), les fêtes, etc. Chaque femme se voit attribuée une part de responsabilité dans le fonctionnement et l’organisation générale du groupe.
Les femmes ont elles-mêmes établi leurs statuts et leur règlement. Elles se retrouvent toutes lors d’une réunion extraordinaire en début d’année, pour rediscuter les statuts. Elles y apportent les modifications nécessaires, accueillent les nouveaux membres, et font les bilans financiers et moraux de l’année écoulée.
Les femmes s’occupent de l’approvisionnement de leur atelier en matières premières (principalement la laine et le matériel de couture) en provenance de Sucre, de la gestion financière du groupe, des comptes et des registres. Elles tiennent trois livres de comptes depuis octobre 2002. Le premier concerne ce que chacune gagne. Les entrées et les sorties d’argent sont inscrites dans le second. Et le troisième est le livre des comptes du groupe comptabilisant ce que chacune des femmes reverse dans la « caisse » (10 % de ce qu’elles vendent). L’argent ainsi collecté est destiné aux fêtes du groupe, aux déplacements, aux formations, à l’achat de machines, etc.
Les réunions
Les femmes ont fait le choix du respect des statuts sans aucune dérogation possible. Des amendes sont distribuées en cas de retard aux réunions, si elles partent avant la fin (cinquante centimes de bolivien, soit 0,08 €), ou si elles ne viennent pas (un bolivien, soit 0,15 €), car elles estiment que cela porte préjudice à l’ensemble du groupe. Néanmoins, au cours de l’année, chacune peut invoquer cinq licencias, permissions ou autorisations d’absence. Cependant, celles ne venant pas et ayant une raison reconnue et tolérée (veuve ayant des travaux dans les champs, enfants, maladie), peuvent envoyer leur fille les représenter. Les femmes partant à Santa Cruz doivent régler vingt boliviens (3,10 €) mensuellement, et leur absence ne doit pas excéder quatre mois. La participation au groupe et l’émigration ne sont pas compatibles aux yeux des femmes : la présence et la participation sont considérées comme un enseignement (formation et alphabétisation) et comme un moyen d’obtenir des revenus pour faire vivre sa famille. Pour elles, partir « gagner sa vie à Santa Cruz » pénalise l’organisation du groupe et rompt l’équilibre avec celles qui restent.
Les cinq premières années, les réunions hebdomadaires duraient toute de la journée et se déroulaient souvent dans la confusion : la présence des enfants et la visite d’autres personnes, sans compter les intrusions des animaux… Les femmes ont donc décidé de tenir leurs réunions relatives à l’organisation et à l’administration du groupe tous les samedis matin. Le reste de la semaine, elles vont à leur guise dans l’atelier tisser et coudre en fonction de leurs possibilités.
Du tissage à l’objet artisanal
Après quelques années de fonctionnement, un comité de vente est créé. Il se compose de deux ou trois femmes élues par le groupe. Sa tâche principale est de sélectionner les meilleurs tissages qui serviront à la confection d’objets artisanaux :évaluation de leur qualité, de leur finesse et de leur régularité, mais aussi de l’orientation des tailles et des couleurs. Le tissu est acheté selon un barème établi selon les dimensions, le poids de la laine et le temps passé à la confection. Le tissu est ensuite transformé en objet artisanal. Ce comité doit également gérer le fond de roulement de la production de tissages.
Depuis 2003, chaque femme tisse avec un objectif : toute pièce de tissu est destinée à un objet artisanal. De cette façon, le travail et le tissage sont rentabilisés au maximum. Néanmoins, la quantité de production de tissage pose problème. D’une part, le groupe compte plus de femmes tissant, que sachant coudre : seules quatre femmes maîtrisent suffisamment bien la couture, par rapport au reste du groupe (une quinzaine) se dédiant au tissage. D’autre part, les femmes ont longtemps considéré que le produit fini seul devait être rétribué parce qu’elles ne tenaient pas compte des contraintes, du temps et de la difficulté du travail de couture. Dans ces conditions, il était plus rémunérateur de tisser : tâche plus rapide et plus facile. Aujourd’hui, la distinction de paiement entre le tissage et la couture est comprise et acquise. Les jeunes filles ou jeunes femmes ont été amenées à se former, afin de rééquilibrer le travail de tissage et de couture.
Tissages, techniques...
Grâce aux formations et aux différentes aides extérieur, les femmes ont pu diversifier leurs créations artisanales. A la demande du groupe, deux professeurs venant de Potosí interviennent régulièrement dans l’atelier. Ils donnent des cours de couture et d’artisanat, environ tous les six mois, durant trois à cinq jours.
Au début de l’année 2002, suite à une formation dispensée à l’ensemble du groupe dans l’atelier, les femmes approfondissent leurs connaissances sur l’utilisation de leurs machines à coudre électrique. Un professeur enseigne les techniques de couture, l’utilisation et l’entretien des machines. Il explique également la technique de la doublure, de la fabrication de sacs à dos ou de trousses et l’art de la finition.
Quelques mois plus tard, partant de leurs tissages traditionnels, les femmes commencent à réaliser des sacs, des pochettes, des trousses, des porte-monnaie, des portefeuilles, des petits sacs à main, des sacs à dos, etc.
Les femmes utilisaient autrefois les teintures naturelles, mais ce savoir s’est partiellement perdu. Depuis une vingtaine d’années, elles achètent des colorants chimiques. Un petit sac de teinture chimique coûte trois boliviens qui, selon les femmes, permet de teindre beaucoup de laine de mouton. Cependant, financièrement, elles estiment qu’ils seraient plus avantageux d’utiliser des plantes, ce qu’elles souhaitent (ré)apprendre
Alphabétisation
Après quatre années d’accompagnement du groupe (en 2001), la coordinatrice française devait se retirer à une échéance relativement courte, les habitantes d’El Terrado demandèrent à apprendre à lire, écrire et compter. Leur objectif était de pouvoir poursuivre leurs activités et de gérer elles-mêmes les comptes du groupe. Ainsi, une matinée par semaine, l’ensemble des femmes s’est consacré à cet apprentissage.
Les degrés d’éducation sont très différents. Les terradeñas plus âgées ou n’ayant pas été scolarisées, ne savent pas tenir un stylo. L’objectif pour ces dernières, était de savoir écrire leur prénom. Les jeunes filles et jeunes femmes ont un niveau plus avancé, leur permettant, avec difficultés, de lire, compter et écrire. Quelques-unes suivent les cours du soir pour les adultes, afin de se maintenir ou se remettre à niveau. Si les difficultés sont toujours présentes, le but était de les amener à tenir les cahiers de comptabilité et les « livres d’actes » seules. Aujourd’hui, l’espagnol est maîtrisé, de même que la lecture, l’écriture et le calcul, le groupe des femmes apprend à s’autogérer. La pérennité du groupe passe par la consolidation des acquis, la formation dans l’organisation et l’indépendance de l’atelier, et l’apprentissage à la gestion des stocks et du fond de roulement. L’autonomie financière, de l’achat de la matière première à la vente des produits confectionnés, et l’organisation du groupe, ont été acquises avant le départ définitif de la coordinatrice.
Les plus âgées n’ayant pas suivi de cours et conscientes de leurs handicaps, se laissent guider par leurs cadettes. Selon le niveau de scolarisation, les femmes se voient attribuer plus ou moins souvent des responsabilités, même si le principe de rotation des charges a pour objectif de permettre aux membres du groupe, d’alléger certaines de leurs responsabilités lorsqu’elles en ont par ailleurs au sein de la communauté. Jusqu’à aujourd’hui, les postes nécessitant de savoir lire et écrire sont confiés à des femmes alphabétisées. N’étant qu’une minorité, le roulement est rapide et elles ont donc chaque année de lourdes charges à responsabilité.