Récit-mail de Tom, le 5 février 2015 de l’épopée pour l’achat et le transport des arbres jusqu’à la communauté :
Voilà une histoire qui, je pense, vaut la peine d'être racontée. Et vous tous, qui avez généreusement donné de votre poche pour que le projet voit le jour, vous méritez d'en être les lecteurs. Je vais donc tenter de vous retranscrire au mieux l'épopée qu’est ce projet de reforestation.
Une fois que la cagnotte fut terminée et le budget ainsi fixé, j'ai pu déjà me faire une idée du nombre d'arbres que nous allions pouvoir planter, et même si j'avais déjà en tête un lieu d'achat, je me suis laissé guidé par les conseils des habitants d’El Terrado qui m'en ont vivement conseillé un autre. On me parle de la vivrière de Yotala, une grosse communauté non loin de la ville de Sucre, et à environ 5h de camion de la communauté. Il semblerait que les arbres fruitiers que l'on puisse y trouver sont de meilleure qualité et plus variés.
Fransisco, Alcalde du village (une des plus hautes autorités), me dit que si je décide d'y aller, son fils Alvarro se fera une joie de m'accompagner, et moi je me fais une joie de l'apprendre, car il est important que les terradenos s'investissent au maximum dans ce projet. Quand je dis à Fransisco que c'est avec plaisir et que je suis prêt à partir dès demain si possible, celui-ci me présente son fils (que je voie pour la première fois) et qui semble plus enclin à obéir à son père qu'à m'accompagner "avec plaisir". Alvarro a 15 ans. Et comme son père ne lui donne pas vraiment le choix, il me propose que nous partions le dimanche (deux jours plus tard) je le remercie chaleureusement et essaye de paraître le plus sympathique possible pour limiter un peu son malaise, et lui dit à dimanche.
Le dimanche, je retrouve donc Alvarro chez lui à 8h et nous partons à pied en direction du lieu où passe chaque dimanche le camion de Don Juan dans lequel on peut grimper dans la remorque et aller jusqu'à Sucre pour une petite somme. Comme on est un peu à la bourre et que l’on voit le camion arriver au loin, je suis les jambes d’Alvarro qui s'emballent et on arrive au lieu de passage du camion pile à temps. On grimpe dans la remorque. Je ne l’avais jamais vue aussi pleine. Selon ce que j'ai pu compter, on est environ 70 là-dedans, et il faut voir comme les personnes de tous âges sont secouées comme des patates et tombent les unes sur les autres à chaque trou de la « route ». Comme on est en pleine saison des pluies, le chemin est chaque jour un peu plus mauvais à cause des coulées de boue et des chutes de pierre, donc nous sortirons en tout quatre fois avec pelles et pioches pour déblayer le tout. À un endroit le chemin s'est carrément effondré de moitié et il faut y envoyer la terre et les pierres, puis tasser le tout pour en refaire un lieu de passage pour le camion. Heureusement qu'on est nombreux !
Nous arrivons finalement à Yotala après 7h de camion et 1h de marche environ. Une fois sur place, nous commençons à poser des questions pour savoir où se trouve la vivrière. On nous indique l'autre côté du rio (rivière), que nous traversons à pied par les endroits les moins boueux possible car le pont est bien trop loin. En tout, il nous faudra une petite heure pour arriver au lieu-dit. Et quand enfin nous nous y trouvons, nous nous mettons en quête du responsable. Je lui parle du projet, et commence à demander le type d'arbre qu'il vend, les tarifs etc... Mais il m'arrête et me dis tout simplement que les arbres ici ne se vendent que pour la communauté de Yotala. J'ai beau insister mais rien à faire. Un peu les boules quand on vient de se taper 7h de camion juste pour ça.
Je propose à Alvaro qu'il appelle son père pour lui expliquer, et lui demander s’il n'aurait pas un autre lieu à nous conseiller, tant que nous sommes là. Le réseau est difficile à trouver mais on finit par l'avoir et il nous dit qu'il va essayer d'appeler un ami qui vit à Sucre, et qui pourra surement nous aider.
Donc en attendant, nous prenons un micro bus direction Sucre Entre temps Francisco nous rappelle et nous donne l'adresse de Don Gonzalo, l'ami en question.
Une fois en ville, nous nous y rendons directement. Mais on a beau taper et sonner, personne ne répond. On rappelle Francisco qui nous dit d'y retourner à 20h30, qu’il sera sûrement là. Il est
18h30, et j'emmène Alvarro à mon auberge de jeunesse favorite, puisque de toute façon plus question de rentrer au village aujourd'hui. On s'installe dans le dortoir, ou le pauvre Alvarro ne se
sent pas du tout à l'aise au milieu des "Gringos"... je lui propose que l'on sorte manger un morceau, et on se paye donc une bonne viande dans une adresse que je connais bien. Il est très gêné
quand je lui dis de prendre "ce qu'il veut", et forcément il choisit le moins cher.
On retourne à la porte de Don Gonzalo à 20h30 pile poil, on tape, on sonne... et c'est finalement un petit d'une dizaine d'années qui ouvre et qui nous dit que son papa est à la campagne. Super !
On appelle Francisco tout en revenant à l'auberge, et celui-ci appelle Don Gonzalo puis nous rappelle. Il nous assure que demain matin à 7h, Don Gonzalo sera chez lui.
Au dodo donc, Alvarro n'ose pas utiliser la douche (ce qui n'existe pas à El Terrado), peut-être qu'il n'en a juste pas envie. Moi, je la savoure !
Le lendemain matin, nous voici à 7h devant la porte qui nous est devenue familière. Et Don Gonzalo est là ! Je lui parle du projet, il pense un petit peu et nous dit qu'il connaît un ingénieur en agronomie qui saura nous guider. Il nous propose de nous emmener chez lui maintenant en voiture, trop sympa. 20 minutes plus tard, nous voici arrivés chez "Johnny". On sonne et il sort de chez lui (heureusement que les boliviens se lèvent tôt !). Nous discutons, Johnny pense. Il nous dit que selon lui, le meilleur plan serait d'acheter les arbres à l'université d'agronomie de Sucre, car en insistant sur l'aspect humanitaire du projet, on peut espérer les avoir à tarifs réduits. Il propose de venir avec nous, nous sommes donc maintenant 4 dans la voiture et nous dirigeons vers l'université, en plein centre-ville. Une fois sur place, Johnny semble connaître tout le monde, et il me présente à un professeur qui me dit qu'il va nous aider, et qui nous emmène au bureau de commercialisation des arbres de l'école. Comme on a bien sympathisé, il insiste auprès de Federico (le responsable du bureau) de traiter avec moi comme il le ferait avec un bolivien et de faire un effort au niveau des tarifs. Le professeur devant ensuite aller assurer son cours, je le remercie chaleureusement et nous échangeons nos contacts, car il me dit qu'il aimerait monter jusqu'à El Terrado avec des élèves, pour nous aider à planter les arbres dans le cadre d'un atelier pratique. Ce serait génial !
Nous discutons maintenant avec Federico, qui nous sort la liste des arbres disponibles. Nous devons choisir un type d'arbre dont les conditions de plantations correspondent au climat d’El Terrado, donc je laisse Johnny demander à Alvarro comment est le climat à la communauté. Après réflexion, nous optons pour des abricotiers, des citronniers et des "damascos", un fruit connu ici et qui ressemble à un petit abricot. Nous discutons maintenant tarifs, et arrivons à un accord très honnête. Une poignée de main, et nous voilà engagés sur l'achat de 600 arbres ! 265 citronniers, 265 abricotiers et 70 damascos. Mais avant de définir le jour de "retrait", il faut trouver le moyen de transport pour charger tout ça et aller jusqu'à El Terrado avec.
Je dis donc à Federico que je repasse le voir dès que nous avons la solution.
Il y a deux camions qui font la liaison Sucre - El Terrado : celui de Don Juan et celui de Don Eduardo.
Je connais bien Eduardo, c'est donc lui que j'appelle, et par chance il est en ville et me propose que je passe chez lui pour discuter.
Nous nous y rendons directement à pied avec Alvarro, et je lui expose le projet. Voilà ce qu'il me propose : vendredi, jour de l'un de ses deux trajets hebdomadaire, il va jusqu'à Vila vila
(communauté située à 40 minutes de marches d’El Terrado), il dépose les gens puis revient directement à Sucre pour que nous puissions charger les arbres le samedi matin et repartir pour El
Terrado. Ça me parait très bien, nous fixons ses tarifs et on retourne à l'université. Federico nous dit qu'il peut faire arriver tous les arbres pour vendredi (car le samedi l'université et
ses entreprises partenaires ne travaillent pas), et que l'on peut décharger le tout dans la cour de l'école en fin d'après-midi si nous sommes sûrs de pouvoir charger le tout dans le camion le
samedi matin à 7 heures pétantes. J'appelle Eduardo pour savoir si c'est ok pour lui, réponse positive. Je confirme donc auprès de Federico, et nous nous quittons.
Il faut maintenant que nous rentrions au village, car avec toutes ces bonnes informations, il serait bon de faire une réunion avec les habitants pour organiser la réception des arbres. On appelle Francisco qui nous dit qu'il se charge de proposer aux habitants une réunion pour le lendemain. Alvarro me propose d'aller en micro bus jusqu'à Nucchu, et de la de marcher jusqu'à El Terrado. Il est 12h30, et nous arrivons dans les environs de 20h après des grosses galères de transport et 6h de marche rythmée entre les magnifiques montagnes et vallées des environs. Cette marche a bien contribué à renforcer mes liens avec Alvarro qui est passé de distant et très timide, à souriant et un peu plus ouvert. Il nous fait passer par des petits chemins que je découvre complètement. On voit bien que ce n’est pas sa première fois ! Il me dit que le vendredi, quand Eduardo redescendra de Vila vila jusqu'à Sucre, il ira avec lui pour nous aider à charger les arbres dans le camion. C'est sa propre volonté à présent, super ! Je lui propose que nous trouvions également un autre volontaire, car 600 arbres, c'est beaucoup. On arrive au village et chacun va dormir chez soi.
Je retrouve Inès (volontaire depuis le 16 janvier à El Terrado) à Era Moqo, notre domicile au sein de la communauté. Le lendemain va me servir à trouver un ou deux autre éventuels volontaires parmi les habitants pour venir nous aider à charger le camion à Sucre, et à voir si on peut organiser une réunion avant que je reparte.
Bingo ! Avec le soutien de Francisco, la réunion se fera donc le lendemain (mercredi) à 18h. Le mercredi donc, après une journée tranquille ponctuée d'occupations habituelles (préparation des terrains de plantations, jeux avec les enfants...), nous nous rendons à la réunion avec Inès à 18h pile, mais le temps que tout le monde arrive, elle ne commencera que sur le coup des 19h45, un grand classique. Parmi les divers sujets qui sont abordés, celui des arbres prend une bonne demi-heure et lorsque j'annonce que chacune des familles qui avaient demandé un certain nombre d'arbre allait pouvoir en avoir autant, voire plus, les sourires font plaisirs à voir. Tout le monde est maintenant au courant que les arbres arrivent samedi et que nous aurons besoin de bras pour décharger le camion. Nous décidons que la répartition des arbres aura lieu le lundi matin à 7h. En attendant, les arbres dormiront dans la pièce qui sert à "l'atelier des enfants" qu’Inès anime chaque jour depuis son arrivée. Fin de la réunion, retour maison, repas et dodo.
Le lendemain, je retourne à Sucre avec Inès, via le
Bus Carril (un compartiment de bus monté sur des rails) qui fait la liaison Potosi - Sucre trois fois par semaine en passant par les campagnes. Pour être sûr d'avoir une place, il faut se pointer
au bas mot 3 heures avant son passage à Vila vila, la communauté voisine.
Fin d'après-midi à Sucre, durant laquelle je me rends à l'université ou je constate qu'une grande partie des arbres est arrivée en avance. Ils ont été stockés dans une petite salle. Il y a là les
265 citronniers et les 70 damascos. Les premiers font 50 cm de haut environ et ont une très belle couleur, les seconds semblent tourner de l'œil et penchent tous dangereusement vers le
sol. Je dis à Federico que je ne peux pas prendre les 70 damascos dans cet état, il le comprend et me propose de faire venir une autre variété pour le lendemain, en remplacement. Après
avoir pensé et m'être rappelé de ce qui pouvait se planter à El Terrado ou non, j'opte pour des avocatiers. (On me confirmera plus tard à la communauté que c'est tout à fait adapté).
Le vendredi matin, je me réveille à 6h car je veux aller discuter avec Eduardo, le chauffeur du camion, avant qu'il ne parte de Sucre pour son voyage habituel. Le but de la démarche est juste de m'assurer qu'il va bien revenir le soir même pour que nous chargions les arbres le lendemain comme prévu. Je suis au lieu de départ vers 6h45, une dizaine de personnes est déjà dans la remorque du camion. Eduardo me dit qu'il ne va finalement pas partir aujourd'hui, car il n'y a pas assez de monde dans le camion (pas assez rentable). Si ce n'est que ça veut dire que les volontaires qui devaient revenir avec lui pour nous aider ne le pourront finalement pas, il n'y a rien de catastrophique. Sauf pour les gens qui attendaient le départ du camion pour rentrer chez eux bien sûr... Mais en Bolivie, on est de toute façon jamais sur d'arriver à l'endroit prévu au moment prévu. Les gens le savent, ils sont habitués, et de ce fait ils ne râlent que très peu.
Eduardo me dit autre chose au passage : finalement il refuse d'aller jusqu'à l'université demain matin pour charger les arbres dans le camion, car les camions sont interdits dans le centre. Mais la dernière fois que je lui ai dit il m'avait dit qu'il n'y avait pas de problèmes ! Comment je pouvais le savoir moi ? Bref, du coup il faut trouver une solution pour amener les arbres directement au lieu de départ du camion (600 arbres...) avant demain.
Après un bref retour à l'auberge pour prendre le petit déjeuner, je file à l'université pour parler du problème à Federico. Mais il n'y est pas (alors qu'il m'avait dit qu'il serait disponible entre 8h et 10h si besoin) et son portable est sur messagerie. Je tourne en rond deux heures devant le bureau alors que les gens qui passent me disent tous : "Federico ? Il devrait être là normalement, il va arriver". Enfin, vers 10h30, il arrive. Je lui parle du problème de transport et il me dit que les camions sont tolérés dans le centre jusqu'à 8h du matin, sûr et certain. Comme il a l'air sûr de lui, je lui propose que nous appelions Eduardo ensemble, pour qu'il puisse lui dire exactement la même chose. Il accepte, mais lorsqu’Eduardo est au bout du fil, il ne veut rien entendre et reste campé sur sa position. Federico a beau insister rien à faire. Je lui demande s’il a une idée de qui je pourrais contacter pour transporter les arbres de l'université au camion, et il me donne le numéro d'une entreprise de transport. J'appelle, mais leurs tarifs ne rentrent pas dans mon budget et je fais une croix dessus. Au même moment arrive devant l'université une camionnette remplie d'abricotiers. Mais le conducteur m'annonce qu'il n'y en a que 185, impossible d'en avoir plus. Il en manque donc 80... Mais Federico me dit qu'il a lui-même une petite vivrière chez lui et qu'il peut me vendre ces 80 abricotiers pour le même prix que celui fixé par l'université. Ok pourquoi pas, mais reste à aller les chercher...
Toujours l'esprit occupé par le problème du transport, je demande au chauffeur de la camionnette si nous ne pouvons pas aller décharger les 185 abricotiers directement au camion plutôt que de le faire ici, à l'université. Ce sera toujours ça de fait... C'est à une quinzaine de minutes de route, et quand Federico appuie ma demande, le chauffeur accepte. Federico insiste pour venir avec nous pour aider à décharger (sympa !) Et comme il n'y a vraiment plus de place dans la camionnette avec les arbres à l'arrière, je donne l'adresse au chauffeur et je lui propose que nous nous y retrouvions. Il part avec Federico et je file trouver un taxi. J'arrive sur place en premier, je descends du taxi en constatant qu’à l'emplacement habituel du camion, il n'y a pour ainsi dire... pas de camion. Je tape à la porte de chez Eduardo, et sa femme m'ouvre : "Eduardo ? Mais il est parti pour Vila Vila à 8h !"
Super génial tip top moumoute. Sachant que ce même Eduardo m'avait dit qu'il ne partira pas ce matin quand je suis venu le voir à 6h45, et que quand je l'ai eu il y a à peine une heure au téléphone, il a visiblement oublié de me préciser qu'il était en route... Je le revois encore me dire ce matin même :"on se tient au jus mais dès que tu as une solution tu peux venir charger le camion". Et voilà que se pointe la camionnette remplie d'abricotiers à qui je vais devoir expliquer l'inexplicable. Quand j'informe Federico du problème, il me dit que maintenant qu'on est là, on va décharger quand même et il me dit que le mieux à faire c'est de proposer un peu de sous à un habitant du coin pour qu'il garde les plantes jusqu'au retour du camion. Le retour du camion tiens, parlons-en. J'appelle Eduardo qui me répond comme une fleur :"Holà Tomas ! Je suis parti ce matin finalement. " Noooon vraiment ??
Je lui demande si c'est donc toujours ok pour qu'il revienne ce soir même à Sucre. Réponse :"ah je ne sais pas, je sens qu'il va pleuvoir, la route risque d'être mauvaise... dimanche plutôt je
reviens !" On est vendredi, les habitants attendent les arbres pour demain à la communauté, je pense à tout ça en regardant le ciel bleu qui n'est à priori nullement annonciateur de pluie... Je
dis tranquillement à Eduardo (car s'énerver ne sert à rien) que je vais trouver une autre solution que lui pour transporter les arbres. Ça ne lui fait ni chaud ni froid visiblement, et je
raccroche en restant très poli.
Je raconte tout cela à Federico, et je lui dis aussi que je n'aime pas vraiment sa solution de faire garder les plantes par n'importe qui. Je lui demande si on ne peut pas retourner décharger les plantes à l'université pour qu’elles y restent en sécurité le temps que je trouve une solution. Heureusement il est compréhensif, bien qu'un peu agacé par la situation. On retourne donc à l'université, on décharge. Au passage je lui demande s’il a pu avoir les avocatiers, il me dit que non, et que de toute façon vu qu'il n'y a pour l'instant pas de moyen de transport il ne veut pas prendre le risque d'encombrer encore plus l'université avec d'autres arbres. Je pars en lui disant que je le tiens très vite au courant.
Il est environ midi. Je pense à Don Juan, l'autre
camion qui part de Sucre pour aller jusqu'à Potobamba, une communauté proche d’El Terrado. Je sais qu'il part le samedi matin, c'est peut être ma solution. Par chance, on m'a donné son numéro dès
que je suis arrivé "au cas où". Je l'appelle, me présente brièvement et lui dit que j'ai quelque chose à lui proposer, mais que j'aimerai lui parler en tête à tête. Il me dit qu'il n'a vraiment
pas le temps aujourd'hui. Je lui dis que je peux le payer : il me propose de passer chez lui à 13h30.
Il me donne son adresse, je mange un bout au mercado central et je m'y rends en taxi. J'arrive un poil en avance je l'appelle, il me dit qu'il arrive... et une bonne demie heure plus
tard le voilà. Je lui explique tout, la nécessité d'aller dans le centre avec le camion pour charger à 7h 600 arbres dans la remorque de son camion etc... Et même inquiétude que Eduardo vis avis
de la police. Je lui dis bien que avant 8h on m'a assuré qu'il n'y avait aucun risque, et il me dit qu'il est Ok si je vais à l'université, et que le responsable l'appelle en lui confirmant ce
que je viens de lui dire.Ok. En partant du principe qu'on va le faire, je lui dis qu'il faut qu'on parle tarif. Il me demande combien avait demandé Eduardo, je lui réponds honnêtement et
profitant de sa situation de "dernier camion connaissant bien la route jusqu'à El Terrado", il me demande un peu plus. Je lui dis que je dois réfléchir mais dans ma tête c'est tout vu, j'ai plus
le temps de trouver une autre solution. Je demande à voir son camion, et je constate qu'il en a deux : le gros dans lequel je suis monté en début de semaine pour redescendre à Sucre, et un plus
petit. Le plus petit à l'air largement suffisant et il me dit qu'il marche mieux en plus, alors on valide.
Maintenant je file à l'université, et me réjouis déjà d'annoncer à Federico que je devrais pouvoir le débarrasser des plantes comme prévu demain matin. Sur la route mon téléphone sonne, et c'est Alvarro, le fils de Francisco, qui est au bout du combiné. Il m'appelle pour me dire qu'il vient d'apprendre qu’Eduardo ne retourne pas à Sucre aujourd'hui. Quand je lui dis que j'ai a priori une solution pour venir quand même demain matin avec Don Juan, il me dit qu'il vient pour m'aider au chargement avec José Alejandro, un autre enfant de El Terrado (13 ans) surmotivé et toujours volontaire. Je lui dis qu’il n'a pas besoin de faire ça, qu’on se débrouillera pour charger tout ça sans eux. Évidemment que j'aimerai faire ça avec eux, mais je ne veux pas qu'ils se sentent obligé de se taper 6h de marche et sûrement des grosses galères de transport juste pour ça.. Mais il a vraiment envie et il me dit qu'il va aller choper José Alejandro et qu'ils partiront sur le champ. 13 et 15 ans... Chez nous on ne trouve pas aussi responsable et débrouillard à cet âge-là, il faut l'avouer. Je le remercie de tout cœur et quand je raccroche je me rends compte que ça me touche vraiment cette envie qu'ils ont de m'aider spontanément, et d'aider leur village.
J'arrive donc très positif à l'université, mais le bureau de Federico est fermé. Je demande aux gens où il est, et on me répond qu'il a pris son après-midi. Federico qui est le seul (on me le confirme) à avoir les clefs de la salle où sont entreposés les arbres. Federico qui doit appeler Don Juan pour le rassurer. Federico qui doit me vendre 80 abricotiers de son jardin et Federico qui m'a promis de trouver 70 avocatiers avant demain. Je l'appelle et pas de réponse. Sms, appels, je le harcèle pendant au moins 30 minutes et il finit par répondre ! Je lui dis que tout est arrangé pour demain matin mais que je ne peux rien faire sans lui, et il me dit qu'il arrive d'ici une demi-heure. Par chance, c'est une vraie demi-heure qu'il mettra, et la première chose que je lui demande de faire c'est d'appeler Don Juan. Chose faite, Don Juan est rassuré et me confirme que nous pourrons faire cela ensemble demain. Je lui propose de venir chez lui à 6h pile pour que nous partions ensemble à l'université ensuite, il est Ok.
Je demande à Federico si il a du nouveau pour les avocatiers, il me dit que non mais qu'il va essayer d'en trouver et de les faire livrer demain matin à 7h devant l'université, que l'on puisse
charger directement le camion. Espérons ! On se donne donc rendez-vous demain matin ici même à 6h30.
Je rentre à l'auberge ou je retrouve Inès, je l'informe de tout ça et on décide d'aller acheter de quoi faire des faritas à la cuisine de l'auberge, pour bien nourrir José Alejandro et Alvarro quand ils arriveront. Au passage, je leur réserve également une chambre à l'auberge, et non pas un lit dans le dortoir car ils auront bien mérité un gros repos au calme ! Mais j'ai beau essayer d'appeler sur le téléphone d'Alvarro régulièrement pour savoir où ils en sont, si tout va bien, impossible de l'avoir. Nous resterons ainsi sans nouvelles jusqu'aux environs de 22h... on s'est quand même un peu inquiété. Mais finalement c'est Francisco qui m'appelle pour me dire que les deux jeunes sont arrivés à Sucre. Je rappelle donc Alvarro pour la vingtième fois et enfin il répond. Je lui demande où ils sont et il me dit qu'ils sont dans le camion de Don Juan et qu'ils vont y dormir ! Je sais qu'ils y sont plus à l'aise que à l'auberge, entourés d'étrangers, alors je leur promets que nous serons la demain matin à 6h avec le petit déjeuner ! Je demande s’ils ont mangé et ils me disent que oui. Alors avec Inès, on se fait une overdose de faritas. Puis dodo.
Le lendemain départ à 5h30 sous la pluie, j'ai passé une nuit très courte à cause d'un ronfleur hors pair dans le dortoir. Inès semble avoir mieux dormi. Il a plu très fort toute la nuit et j'espère que le chemin sera praticable. Nous arrivons en taxi au camion de Don Juan et on entre dans la remorque où nos deux petits potes se réveillent. Il y a aussi deux autres personnes qui y dorment (c'est assez fréquent les gens qui dorment dans les remorques de camions). On fait péter les galettes et le yaourt à boire. J'appelle Don Juan, qui est assez ponctuel et vers 6h10 on est parti ! Direction l'université. On y arrive pour 6h35 et je découvre avec plaisir que Federico est là.
On commence alors le chargement en remplissant des cagettes d'arbres. Don juan s'occupe de les disposer dans la remorque. C'est un gros travail, la terre des pots est humide et donc bien lourde, mais on garde le rythme et au bout d'une quarantaine de minutes, on en vient à bout. Nous avons donc chargé 265 citronniers et 185 abricotiers. Tandis que Don Juan s'impatiente (peur de la police), Federico m'annonce que les avocatiers arrivent. Yes !! Vers 7h15 donc, nous rajoutons à cela 70 avocatiers. La remorque est presque pleine. Ensuite nous grimpons dans le camion, José, Alvarro et moi dans la remorque et Inès, Don Juan et Federico à l'avant. 25 minutes plus tard, nous voilà chez Federico, à charger les 80 abricotiers restants. Ca y est, la remorque est pleine ! Au poil. C'est ici que l'on quitte Federico, que je remercie pour tout. Et on est parti ! Enfin, c'est ce que l'on croyait...
À la sortie de la ville, on s'arrête à une pompe pour faire le plein de Diesel, mais la pompe est vide. Il faut donc retraverser toute la ville pour aller à une autre pompe, à l'opposé complet. 40 minutes plus tard, nous repartons avec le plein, direction El Terrado. Mais en passant à côté, Don Juan décide de s'arrêter chez lui, et d'aller jeter un coup d'œil à son autre camion. Nous y constatons que pour faire un maximum de bénéfices, Don Juan a visiblement confié le volant de cet autre camion à son fils, pour transporter les personnes désireuses de se rendre à la campagne. Mais là ou Don Juan se pose la question, c'est pourquoi le camion n'est-il pas encore parti ? Car il est bientôt 9h. On s'arrête, on coup le moteur, et Don Juan va retrouver son fils qui a le nez dans le moteur. Aie aie, pire qu'un problème mécanique, il semblerait qu'un câble a été littéralement coupé. Du moins c'est ce que j'ai l'impression de comprendre, il s'agit peut-être d'un sabotage volontaire. Par qui et pourquoi ? Aucune idée. Ce qui est sûr, c'est que pour Don juan, pas question de laisser le camion dans cet état, et encore moins de perdre la source de revenus induite par les passagers qui attendent patiemment que le camion ne démarre. C'est ainsi que dans une petite camionnette, notre chauffeur est parti sans rien nous dire avec son fils, pour on ne sait où... il n'y a rien d'autre à faire qu'attendre. Ils reviennent 30 minutes plus tard avec des outils, et plongent dans le moteur défectueux. Et encore une trentaine de minutes plus tard, repartent dans la camionnette. Cette fois ils ne reviendront que 2h30 plus tard. Ce qui nous laisse le temps de faire une petite sieste dans notre camion, de rigoler avec les jeunes, de manger des gâteaux... les gens du gros camions commencent à nous demander si il y a de la place dans notre camion, et quand est-ce qu'il va partir etc... Je suis obligé de dire que l'on ne peut prendre personne à cause des plantes, et personne n'insiste. Puis enfin Don Juan revient, cette fois avec une grosse pièce de moteur dans les mains. Et vu la tête qu'il tire, ça a pas dû être de la tarte de la trouver. Et c'est reparti pour les réparations. Lorsque le bruit du moteur enfin réparé se laisse entendre, c'est l'euphorie générale ! Je demande à Don Juan si on peut donc enfin y aller, et il me dit que oui, mais qu'il préfère conduire le gros camion au cas où qu'il y ait un problème, c'est donc son fils qui conduira le nôtre. Ok, tant qu'on arrive un jour ! Tandis que le gros camion part, notre nouveau chauffeur m'apprend qu'il doit aller rendre les outils empreintés à gauche et à droite avant de partir. Il remonte dans sa camionnette, et revient une grosse demi-heure plus tard. Et c'est ainsi que, après un départ initialement prévu à 7h30 avec Don Juan, nous quittons Sucre à 14h avec son fils au volant. Allez, plus que 5h de route si tout va bien.
Le fils conduit plus vite que le père, et on rattrape le gros camion au bout d' 1h30 de route. Et c'est bien triste, car pour nous qui sommes dans la remorque, ça veut dire que nous allons manger la poussière du premier camion pendant les 4h de chemin de terre... On finit vraiment couverts de poussières, mais avec José Alejandro et Alvarro, ainsi qu'un autre petit gars de Vila vila qu'on a récupéré dans la remorque, on se marre bien pour faire passer le temps. On joue notamment à celui qui tient le plus longtemps debout dans la remorque sans s'aider des mains : record obtenu par le petit Emilio, de Vila villa, avec un score de 29 secondes ! 20 minutes avant l'arrivée, les trois condors que je voie souvent dans les environs nous suivent et il y en a un qui passe vraiment tout prêt de nous en battant des ailes, c'est magique. Tout ça avec le coucher de soleil sur le Pilima, le Jatum Orko, et El Terrado qui se dessine entre ces deux sommets... magnifique. Rajoutons à cela la satisfaction que j'éprouve à enfin arriver avec les 600 arbres qui nous aurons donné tant de fil à retordre, je vis l'un des plus beaux moments de ma vie.
L'ultime récompense est de voir que lorsque nous arrivons au village, une vingtaine de personnes se précipitent sur le camion pour nous aider à décharger. Alvarro et José Alejandro restent postés dans la remorque pour faire passer les arbres aux bras qui se tendent vers eux, et en les voyants, on ressent la fierté qu'ils éprouvent d'avoir participé à l'aventure. Et d'avoir aidé leur communauté. Je n’aurais pas pu imaginer meilleurs partenaires que ces deux-là.
20 minutes plus tard, le camion est vide, et tous les arbres sont entreposés dans l'atelier des enfants, qu’Inès ferme à clefs. Rendez-vous lundi matin à 7h pour la répartition entre toutes les familles.